INTERVIEW - La Gale (2010)

Pour qui peine à décoller des programmes MTV, le hip hop se doit d’être obèse et bling-bling, saturé de voitures et demoiselles rutilantes. Mauvaise image souvent difficile à dépasser, faute d’intérêt médiatique véritable pour cette scène. En Suisse romande, le hip hop se décline en mode underground : à Lausanne, sa voix est féminine, rageuse. Loin d’être obèse, plutôt couverte dans ses jeans et pulls à capuche, La Gale tranche. Cette année, la jeune femme a réussi l’impossible : enregistrer un album avec le groupe de rap gazaoui Darg Team, et les faire venir jouer en Suisse. Rencontre avec une rappeuse qui rocke.



-Il y a dans ton rap quelque chose de sombre qu’on rapprocherait volontiers du rock, un intérêt prononcé pour le monde arabe et un sens de la révolte franchement punk… La Gale, d’où sort-elle ?

Mon père travaillait dans les métiers du bâtiment, ma mère est une immigrée libanaise. J'ai grandi à la campagne, relativement à l'abri du besoin, dans un univers plutôt working class. Au niveau musical, j'ai pas mal zoné dans les milieux rock puis punk rock, été active en tant que chanteuse et guitariste dans deux groupes quand j'étais plus jeune. C'est une marque de fabrique qui est pour ainsi dire restée. Le rap, j'en écoute depuis gamine, et puis l'écriture c'est pareil, ça a commencé très tôt. En 2005, tout a commencé à se préciser parce que je me suis mise à monter des projets de concerts et mixtapes, notamment avec des artistes du Moyen-Orient, alors que je ne montrais pas encore mes textes. Et puis, fin 2006, j'ai commencé les concerts et les enregistrements.

-Un mélange qui se ressent dans ta musique… Quels sont les univers artistiques qui te parlent ?

(Rires) Putain, dur, j'ai trop de trucs en tête là ! Mais chronologiquement, je dirais que mon père m'a refilé la maladie du rock'n roll et de Johnny Cash, ma mère, c'était plutôt la musique traditionnelle arabe, et les vieux chanteurs français comme Brel et Ferré, qui m'ont sans doute moins influencée que Fairuz ou Oum Kalthoum – les racines, toujours (NdR : ces chanteuses comptent parmi les principales représentantes de la musique populaire arabe du XXème siècle). Mes seize-vingt-cinq ans ont plutôt été martelés par The Clash, Sham 69, de vieux trucs en général, du rocksteady au punk, de la northern soul au hardcore, Refused, Fugazi, les Dead Kennedys, voilà l'éventail ! Évidemment, il y a les incontournables du rap comme la Rumeur, NTM (à l'époque), Le Wu-Tang, Mobb Deep, et dans les plus récents des mecs comme Reef The Lost Cauze, Jedi Mind Tricks. Ces derniers temps, j'écoute vraiment plein de trucs. Du moment que ça correspond à mes attentes. Je n'aime pas trop les clivages.

-Et qu’est-ce qui t’attire particulièrement dans le hip hop ?

Le verbe, la technique, le bitume, la crasse, les gens.

-Si tu devais jeter un regard en arrière, quels sont les moments forts de ton parcours ?

Je dirais que les liens tissés avec les gens au Moyen-Orient ont été parmi les éléments les plus marquants sur mon chemin encore frais de MC. Ensuite, comme je suis un peu une ‘hybride’ entre plusieurs scènes, je dirais que nos concerts (avec Rynox) réunissent pas mal de gens différents. Du coup, il y a des crêtes et du Lacoste qui s'invitent à nos lives et la plupart du temps le mélange fonctionne bien. Dans le moins cool, tous les moments où tu te heurtes de près à la grande limace du music business. On ne laisse personne nous dicter notre comportement et pour ma part j'ai de la peine à mettre de l'eau dans mon vin. Donc ça se passe mal parfois (rires). Sinon des sites d'extrême droite nous ont consacré des pages entières de commentaires sur leurs forums pourris. Mais bon, le but, c'est de les faire chier, alors on a réussi notre coup.

-Justement, ton rap fait partie de la catégorie ‘intelligent’, celui qui véhicule des idées. Qu’est-ce que tu tiens à exprimer ?

Les paroles sont tout simplement primordiales. Et je ne transige pas là-dessus. Au niveau du texte, je dirais que j'essaie de coller au plus près de ce que je suis, sans chichis ni conneries, je décris le tableau comme je le vois, le plus honnêtement et de la manière la plus critique possible. Les thèmes sont variés, ça commence par la caméra qui te filme dès que tu sors de chez toi, ça finit au poste en cellule de dégrisement, ça passera par Beyrouth, par Lausanne, Renens, Paris et sa banlieue, la grosse toile d'araignée est partout, celle du contrôle social et politique. Tant qu'il y aura autant de merde sous mes yeux, je ne pourrai pas parler d'autre chose.

Cette année, tu as enregistré un album avec le groupe de hip hop gazaoui Darg Team. Comment ça s’est passé ?
On a beaucoup travaillé à distance ; l'enregistrement de l'album, la conception des textes, de la pochette, tout. Et puis, à force d'acharnement avec les diplomaties et administrations concernées, Darg Team ont débarqué en Suisse en mai dernier. On a fait quelques concerts et puis ils ont continué de rouler leur bosse, ils ont rencontré d'autres MCs et protagonistes de la scène rap, ils ont bossé sur la création d'une nouvelle mixtape, qui devrait sortir bientôt. C'était chaotique et à la fois une expérience sans pareil.

-Être une fille qui rappe à Lausanne, qu’est-ce que ça implique ?

Être une meuf qui rappe, qui fait de la scène, qui chante, qui danse, bref je veux dire dans les milieux artistiques en général, ça nécessite d'être le plus carré possible techniquement. Souvent, les gens se rattachent à l'image émotionnelle que tu renvoies, sont incapables de la dépasser, n'écoutent au final pas ce que tu fais, se contentent connement de percevoir ta fragilité, ta ‘sensibilité’ de meuf, pour te lâcher en fin de concert : ‘Quand même, qu'est-ce que t'es touchante’. Généralement, je réagis assez mal (rires). Sinon, être une fille, ça te permet une visibilité probablement plus grande que pour un mec, parce que ça a un côté ‘alien’ qui interpelle et suscite la curiosité. Reste à voir ce que tu en fais. Ensuite, Lausanne, ça permet de bosser tranquille, dans une ville plutôt active au niveau du rap, où les ‘familles’ s'entendent assez bien, sans trop de clashs et embrouilles inutiles. À l'étranger, notamment dans des grandes villes en France, ça met un peu la pression et je hais devoir me justifier sur le fait que ‘non, je ne suis pas une bourgeoise suisse qui m'essaie au rap’. Donc on essaie de clarifier rapidement. On a d'autres problématiques, ici, en Suisse, je cherche ni à m'inventer un faux univers de banlieue, ni à dire que surtout je n'ai pas à me plaindre de ce que je vis. Lausanne, ça paraît frais face à une banlieue française, mais la merde est enfouie ailleurs. Dans les administrations, les postes de surveillance, et, bien sûr, dans les banques.

-On connaît le circuit du rock, un peu moins celui du rap : distribution, production, scène, comment ça se passe en Suisse romande ?

Il y a plusieurs familles un peu partout en Suisse, qui malheureusement ont parfois une sale tendance à très peu s'exporter (déjà hors de leurs propres villes). Avec l'arrivée d'Internet et le matos digital, il y a dix MCs qui naissent à la minute sur MySpace, dix mixtapes par jour, carrément, c'est devenu de l'incontinence. Après, comme le rap c'est devenu quelque chose de très morcelé (le rap ‘ghetto’, le rap ‘bling’, ‘electro hipster’, les ‘white trash’ même s'y sont mis, l'abstract, le rap soi-disant conscient, le rap ‘militant’, ...) pfff… c'est le bordel, donc voilà, dur de dresser un panel précis en quelques lignes. Après voilà, si tu veux ‘percer’ en francophonie, il faut l'avouer, il y a beaucoup de choses qui se jouent à Paris, Marseille. Pour le reste du monde, ça reste un peu confidentiel.

-Et actuellement, tu bosses sur quoi ?

Je repousse la sortie de l'album à la fin de l'année, album solo sur lequel je bosserai avec un beatmaker qui va s'occuper de toute la prod musicale du disque. Ça sera groove mais sombre à la fois. Les lives devraient reprendre en avril car là je suis sur deux tournages de films, eh ouais, j'agrémente mon parcours d'autres expériences. Mais chut, je n'en dis pas plus, vous verrez bien.

Géraldine

www.myspace.com/lagalemc

mis en ligne le : 30.03.11 par Kelly

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