INTERVIEW - Blaze Bayley (2010)

Grandeur et décadence… Rarement parcours aura semblé plus ardu et incertain que celui de Blaze Bayley. Catapulté au sommet par son arrivée dans Iron Maiden en 1994, l’Anglais s’était lancé dans une carrière solo prometteuse, rapidement torpillée par une industrie du disque impitoyable. Mais le vocaliste s’est relevé, une fois de plus, comme le prouve le très convaincant ‘Promise And Terror’. Rencontre touchante avec un homme à l’inébranlable volonté.



- Après deux mois passés sur la route à jouer tous les soirs, la fatigue commence-t-elle à se faire sentir ?

Ça va. Mais on a tous chopé une crève carabinée en début de tournée et ça n’a pas été simple de s’en remettre, sans vrais days off. Chaque jour où nous ne jouons pas, il faut aller à l’ambassade pour un visa, régler des détails avec notre label… Mais j’ai réussi à garder ma voix. Certains soirs, j’ai dû changer un peu la setlist pour me reposer mais dans l’ensemble, on survit assez bien. C’est cool d’aller vers le beau. Quand on a commencé la tournée, il neigeait. Là, le temps se réchauffe doucement. Notre état de fatigue ne compte pas ; ce qui est important c’est qu’à chaque concert, les fans semblent heureux… Ils apprécient le concert, achètent notre merchandising… Je n’arrive pas à croire que ces dates se passent aussi bien ! On a bientôt un jour de repos, à Osnabrück. Notre plan est de s’enfermer à l’hôtel, chacun dans sa chambre. On ne se parle pas pendant vingt-quatre heures, on ne se sent pas ! Je n’ai qu’une paire de bottes sur cette tournée et, crois-moi, elle pue. Ce sont les pires godasses que je n’aie jamais portées ! Je suis là à me demander d’où vient cette puanteur et, tout à coup, je réalise : ‘Putain, c’est moi !’ (rires). Dès que je le pourrai, je m’achèterai de nouvelles pompes et je vendrai celles-ci sur eBay. Les bottes de Blaze Bayley (rires) !

- Votre approche sur cette tournée est très rock’n roll…

Oui, on fait les choses tellement à l’ancienne que c’en devient nouveau car plus personne ne tourne de cette manière. On n’a pas de décors de scène ni de costumes, pas d’équipe… On essaie de maintenir nos frais au plus bas, on dort dans des hôtels Formule 1 ou chez des fans. On fait tout pour que le prix du ticket reste abordable. Nous ne voulons pas perdre de fric à tourner un clip qui passera ou ne passera pas sur MTV. L’essentiel est de jouer, de rencontrer nos fans. Voilà comment nous assurons la promotion de l’album : en nous produisant dans chaque salle, chaque bar, chaque ville, partout en Europe !

- Cela a-t-il déjà donné lieu à des situations inattendues ?

Oh oui ! Aujourd’hui, nous n’avons pas été foutus de trouver la Suisse. Notre GPS a foiré et nous a gardés en Italie pendant plus d’une heure avant que nous ne trouvions la bonne route. Les policiers italiens nous ont arrêtés deux fois pour des histoires de drogues… Ils nous ont demandé si on avait de la came. Je leur ai montré mes médicaments – je souffre de dépression. Merde ! On n’est pas un groupe de rock, on fait du metal ! On n’est pas branchés drogues. On boit quelques bières, point. Ce qu’on veut, c’est être au sommet de notre forme à chaque concert, écrire les meilleures chansons possibles. Faire partie de ce groupe n’a rien à voir avec combien de Jack Daniel’s tu peux écluser, combien de fois tu t’es retrouvé en cure de désintox, à quel point tu peux te défoncer... Pour moi, un groupe qui agit de la sorte est faible et sa musique n’a aucune crédibilité.

- Cette tournée passe par des bars minuscules… Ça n’est pas frustrant après avoir connu les grandes salles, au sein de Maiden ?

Crois-moi, c’est génial d’être célèbre : tu te marres bien. Mais ça ne t’aide qu’à obtenir des bières gratuites, c’est tout. Ça ne paie pas ton loyer, ça ne te nourrit pas, ça ne met pas d’essence dans ton réservoir… Ce qui m’importe au quotidien, c’est d’être le meilleur chanteur possible, de rencontrer mes fans et de leur montrer que mes chansons valent quelque chose. Tu sais, c’est ce que j’ai toujours voulu faire ! Je l’avais dit à mon management de l’époque. Mais on m’a répondu : ‘Non, tu es Blaze, tu vaux mieux que ça. Tu dois jouer dans des grandes salles.’ Résultat des courses, personne ne m’a vu en concert car je n’en ai pas donné ! L’album ‘Silicon Messiah’ est un enfant mort-né : j’ai tout mis dans ce disque, j’en étais très fier mais il n’a reçu aucune promo. ‘Promise And Terror’, cette tournée, c’est un retour aux sources, à ce que devrait être la musique, à ce que j’ai toujours voulu ! Et ça a l’air de marcher : on n’a jamais joué devant autant de monde…

- Le fait d’avoir sorti ‘Promise And Terror’ sur ton propre label a-t-il aidé à mettre en place cette idée de retour aux sources ?

D’une certaine manière… Personne ne peut nous dire quoi que ce soit. Personne ! Nous sommes libres. Mais la liberté est très chère. Tous ceux qui croient que c’est un droit fondamental se trompent : c’est quelque chose que tu dois acquérir. Nous sommes libres de jouer où nous voulons, d’appeler un club pour leur demander s’ils veulent de nous ou non. Mais ça demande un immense travail ! Quand tu es sur un gros label, on te file de la thune, on t’offre un joli clip, la chance d’être dans tous les magazines et, de temps à autre, tu pourras ouvrir pour Metallica, Iron Maiden… Et si ton album ne se vend pas, tu es mort. Ils se ficheront de savoir si tu es bon ou non ! Si tu signes sur un label, il se peut très bien que ton disque ne voie jamais le jour ! Ça peut être ton plus bel album, ça ne dépend pas de toi. En tant qu’artiste, ce genre de chose peut t’achever ! Quelle sorte de liberté est-ce là ?

Tu sembles remonté contre l’industrie du disque… Es-tu surpris par la faillite de ton ancien label, SPV ?
Je suis vraiment heureux. Ça ne m’étonne pas du tout. Ils ont été cupides, là où ils auraient dû faire preuve de réalisme. Ils ont signé trop de groupes et n’ont rien fait pour eux. Ils ont eu plein d’opportunités, ont sorti d’excellents disques qui auraient pu cartonner. Ces mecs m’ont menti, m’ont fait chanter, m’ont trahi… Tout ce que je leur souhaite, c’est de choper une maladie vénérienne.

Crois-tu que l’effondrement de l’industrie musicale puisse amener un retour à l’esprit rock, où chacun fait avec les moyens du bord ?
Je n’en sais rien. Ce dont je suis sûr c’est que, dans les années nonante, j’ai vu des dizaines de groupes qui auraient mérité de décrocher la timbale mais qui sont passés à la trappe, à cause du manque de confiance de leur label. En ce qui nous concerne, nous sommes désormais en marge de ce cirque. Ce n’est pas une vie facile mais, au moins, nous la contrôlons. Seuls les fans nous soutiennent, pas les maisons de disques. S’ils n’aiment pas nos albums, s’ils refusent d’acheter nos T-shirts, alors on arrêtera. Le dernier concert de cette tournée aura lieu à Dudley, en Angleterre, le 18 décembre. Nous y enregistrerons un album live. Si on tient jusque-là, si on termine cette tournée, alors nous aurons accompli quelque chose de spécial.

Tu parles beaucoup de liberté, de lutte… Te sens-tu proche des personnages que tu évoques sur ‘Promise And Terror’ – Galilée, Chostakovitch… ?
Oui ! Une seule personne qui a raison alors que le monde entier a tort mais continue de nier l’évidence et affirme ‘JE sais ce qui est vrai, JE détermine les faits, la vérité’… Pour moi c’est un concept énorme ! Je revisite ce thème au fil de mes albums. Notre chanson est très simple mais la tension entre Galilée et l’Inquisition était tellement riche ! Idem pour le personnage de Burt Munro, dont je parle dans ‘God Of Speed’. Il avait passé soixante ans quand il est allé aux States pour battre le record du monde à moto. Tout le monde lui disait : ‘Oublie ça, tu es trop vieux, ta moto aussi, tu vas te casser la gueule ! Pourquoi tu n’abandonnes pas !?’ Mais il a insisté et il a réalisé son pari. Être obstinément aveugle t’aide parfois à réussir. Oh et l’histoire de Chostakovitch était aussi dans ma tête depuis un moment. Les gens de Leningrad mouraient par centaines, ils étaient encerclés par les Allemands, ils mangeaient n’importe quoi pour survivre, même leurs chaussures. Au milieu de ce chaos, Chostakovitch, mort de faim, acculé, a ressenti le besoin d’écrire une symphonie, de dire ce qui se passait. Il a rassemblé les derniers musiciens vivants dans la ville pour la jouer. Ils ont diffusé cette pièce dans les rues, grâce à des haut-parleurs. En l’entendant, un général allemand a déclaré : ‘À ce moment précis, j’ai su que nous ne prendrions jamais Leningrad.’ J’ai traversé des moments très noirs dans ma vie (NdR : dont le décès de sa femme et manageuse). Alors qu’un musicien ait réussi à faire quelque chose d’aussi grand dans un moment de désespoir total : oui, ça m’inspire !

www.blazebayley.net

Dave

Interview réalisée le 22 mars 2010 à Collombey

C’est génial d’être célèbre, tu as des bières gratuites

mis en ligne le : 25.07.10 par graber

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