INTERVIEW - Atari Teenage Riot (2010)

On pensait ne plus revoir Atari Teenage Riot en concert ! Légende de la scène electro, formation contestataire par excellence, le groupe nous a fait le plaisir de se reformer le temps d’une tournée, voire plus. Entretien avec Alec Empire, membre fondateur, dans les backstages de l'Usine, après un pogo de plus d'une heure et les yeux clignotant encore au rythme des stroboscopes.



- Vous avec splitté en 2001. Peux-tu revenir sur ce qui s'est passé à l'époque ?

C’est arrivé de façon assez dramatique pendant notre dernier show à la Brixton Academy : on était en tournée avec Nine Inch Nails, sur la route depuis des années… Les seules pauses qu’on faisait, c’était pour enregistrer. On était vraiment au bout du rouleau. Avant cette dernière date à Londres, qui était un show immense, plus de neuf mille entrées, Hanin Elias, notre chanteuse s’est barrée en disant qu’elle voulait arrêter la tournée. On ne savait pas vraiment quoi faire. Carl Crack, le MC, était malade, sa gorge était bousillée, impossible donc de faire notre set habituel et il ne nous restait que trois heures avant le concert. Pas le temps de trouver de remplaçant. Alors on a décidé de faire un set pur white noise, un peu comme ce qu’on a fait à la fin du concert de ce soir. Le public était fasciné parce que ça n’avait jamais été fait auparavant, du moins pas à une telle échelle. D’habitude, ce genre de concert se fait devant cent personnes au fond d’une cave (rires). Après ce soir-là, on a décidé de faire une pause avec le groupe. Hanin venait d’avoir un enfant et Carl est mort d’une overdose une année plus tard. À ce moment, j’allais sortir mon album solo, ‘Intelligence & Sacrifice’, on allait tous dans des directions différentes. Ça n’avait plus de sens de continuer.

- Tu as toujours annoncé qu'il était hors de question de reformer le groupe. Qu'est-ce qui, neuf ans plus tard, t'a poussé à changer d’avis ?

En fait, ce n’était pas vraiment mon idée. Ça s’est passé d’une manière plutôt étrange. J'ai rencontré CX KiDTRONiK, notre nouveau MC, il y a un an, après un concert à Amsterdam avec Nic Endo. Il vient de Brooklyn, mais il était en concert dans la même ville que nous le soir d’avant. Je suivais plus ou moins ce qu’il faisait parce que j’ai toujours adoré tout ce qui est hip-hop underground. Je savais par exemple qu’il avait bossé avec Saul Williams et Kayne West, mais j’ai été très surpris qu’il apprécie ma musique. Il m’a proposé de participer à un album qu’il avait en préparation pour le label Stone Throw Records, qui est un label hip-hop de Los Angeles. Je lui ai envoyé quelques beats plutôt lents, à la Alec Empire, et il m’a recontacté pour me dire qu’il aimait bien, mais que ce n’était pas ce à quoi il avait pensé. Je lui avais fait un truc très hip-hop et lui voulait plutôt du 200 bpm. J’étais très surpris, j’ai bossé avec plein d’autres MCs, comme The Arsonist, et d’habitude ils ne sont pas fans de ce genre de rythme. Mais lui il cherchait un truc original. La même nuit, je lui ai renvoyé d’autres beats et il m’a demandé si Nic Endo pouvait poser sa voix dessus, comme elle l’avait fait parfois à l'époque pour Atari Teenage Riot. Dans le milieu hip-hop, personne n’avait jamais fait un truc pareil. Nic était d’accord, donc on a enregistré ce morceau pour son album. CX KiDTRONiK a continué à enregistrer de son côté, et nous, on n’y a plus vraiment pensé jusqu’en octobre dernier, quand Hanin Elias m’a contacté sur Facebook. On n’avait pas parlé depuis 2001, depuis ce fameux concert. J’en voulais encore à Hanin pour ce soir-là, parce que c’était une habitude qu’elle avait de ne pas se pointer aux concerts. Mais quand elle m’a recontacté, j’ai trouvé que c’était plutôt positif. Elle m’a proposé de faire juste quelques shows. Je crois qu’elle avait besoin d’argent. On a fait la paix, j’ai senti que c’était une bonne chose à faire, Nic aussi. En décembre ou en janvier, on s’y est mis et j’ai repensé à CX. Je me suis dit qu’il pourrait vraiment nous apporter quelque chose de cool. Mais avec Hanin, ça s’est compliqué. Quand on a commencé à enregistrer ‘Activate’, notre nouveau morceau, on ne devait faire que deux dates, Amsterdam et Londres. Une tournée Alec Empire était déjà prévue et on avait juste l’intention de faire deux concerts de cette tournée en tant que ATR. Pour le morceau, on avait décidé de l’enregistrer comme ça, pour le fun et de le distribuer gratuitement. Mais une mauvaise ambiance s'est installée dans le studio : Hanin avait peur de ne plus être capable de chanter comme avant, avec sa voix criarde et aiguë. On a essayé de lui donner une place différente, de la faire chanter autrement : sur le premier album, elle ne crie pas tant que ça, elle ne chantait pas de manière aussi agressive. Nic pouvait se charger des cris, comme elle l’avait souvent fait pour remplacer Hanin, ce qu’elle a toujours très bien fait, d’ailleurs. Mais elle a commencé à perdre confiance en elle, à flipper parce qu’on partait en tournée. Elle a même fait une annonce publique en prétendant qu’elle n’avait jamais voulu remonter sur scène avec nous. J’en ai eu marre, je lui ai dit : ‘Si tu viens, c’est cool, sinon tant pis, c’est trop tard pour annuler ces shows’. Après son départ, en enregistrant ‘Activate’, on s’est rendu compte qu’il y avait une telle énergie entre nous que cette espèce de reformation s'est finalement transformée en une version améliorée du groupe. CX devait reprendre les parties de Carl sur scène, mais quand on a commencé à discuter des paroles, on s’est rendu compte que ça ne jouait pas vraiment. Prenons par exemple le morceau ‘Atari Teenage Riot’ qui parle de Berlin après la chute du mur. CX n’a pas du tout connu cette période ; il n’était pas en Europe à l’époque… Il a senti qu’il ne pouvait pas être sincère en reprenant un tel morceau. Il a donc réécrit une partie des paroles et j’ai trouvé l’idée excellente. C’était un point de vue totalement différent qui allait apporter quelque chose de nouveau au groupe. Rejouer des vieux morceaux juste comme ça, c'est quelque chose qui ne m’avait jamais vraiment convaincu. J’'étais donc très motivé par les propositions de CX. Essayer de revivre le bon vieux temps, ça ne marche jamais vraiment de toute façon. À chaque fois que j’ai vu des groupes essayer de le faire, j’ai trouvé que ça rendait moins bien, qu’ils avaient perdu quelque chose. La meilleure solution pour nous était donc de replacer ces vieux morceaux dans un contexte actuel, donc on les a mis à jour au travers des idées politiques de CX. Là, c’est redevenu excitant ! En fait on a parcouru un très long chemin pour finalement arriver à ce concert (rires). On s'est un peu laissé porter par le courant. Certaines personnes m'ont demandé si on avait mis au point un plan d’enfer derrière notre reformation, si on avait prévu une tournée de cinq ans pour célébrer tout ça, mais on n’y a pas vraiment pensé. On verra ce qui arrive...

- Sur cette tournée, vous avez pris un soin tout particulier dans le choix des salles. Par exemple, vous ne passez pas en Suisse allemande. Pourquoi avoir choisi Genève et l'Usine ? Et pourquoi ne pas passer par Paris ?

On s’était dit depuis le début que si on faisait ces dates, ça devrait être dans des salles qui dégagent une certaine énergie et j'adore vraiment cet endroit. Je me suis dit que si on passait en Suisse, il fallait qu'on joue ici. De plus, on ne voulait pas faire trop de concerts dans chaque pays. Je savais que tu me poserais une question sur Paris. Les bookers parisiens ont une attitude hyper snob que je ne supporte pas. Ces gens ne s’investissent pas autant que le feraient des programmateurs indépendants. Je pense qu’en France, le gouvernement finance beaucoup de salles et que ça a fini par corrompre leur système de fonctionnement. Le fait qu’ils fassent systématiquement passer les artistes français en premier participe aussi à ce phénomène de corruption : ce n’est plus le choix du public et des passionnés, c’est le choix du gouvernement qui est imposé. J’ai passé d’assez mauvais moments en France et tout particulièrement à Paris. Je tiens à préciser que j’adore cette ville et que j’aime les gens, mais c’est avec l’industrie musicale que j'ai un problème. On ne voulait pas de ces poseurs blasés qui viennent aux concerts comme ils vont dans une galerie d’art, sans s’impliquer. Donc on va jouer à Limoges, à Rennes et à Tourcoing. Rennes, c’est un peu une coïncidence : il se trouve que Gabe Serbian, le batteur de The Locust, qui a déjà joué avec nous par le passé, sera sur place avec Otto Van Schirach. Comme on était en tournée au même moment, on s'est arrangé pour se croiser et jouer ensemble. Les bookers parisiens n’étaient pas contents du tout (rires), parce qu’on a refusé de faire plus de deux shows dans tous les autres pays, sauf en France, pour cette occasion spéciale.

- ATR a toujours été un groupe particulièrement engagé mais le monde a beaucoup changé en dix ans. Quelles sont vos attentes et revendications en 2010 par rapport à 2001 ?

Personnellement, je crois que je suis encore plus engagé qu’avant. Par le passé, c’était surtout de la rage, de la frustration par rapport à ce qui se passait autour de moi, particulièrement après la chute du mur. C'était la montée en force de la mondialisation, de toutes ces décisions qui étaient prises par une minorité de gens qui en profitaient au dépend de la majorité. J’ai l’impression que maintenant, c’est un peu trop tard : le scénario catastrophe contre lequel on se battait à l'époque est devenu réalité. Les gens se sont habitués à des trucs qu’on n’aurait jamais acceptés dans les années 90. Tout ce qui est technologie de surveillance, par exemple. La scène musicale telle qu'elle était à l'époque me manque. De nos jours, tout le monde crève de trouille, a peur de ne plus vendre à cause de la crise que l’industrie musicale est en train de traverser, et plus personne n'ose offenser qui que ce soit. Mais chez nous, pas de pression ! On a toujours fait ce qu’on voulait, on a toujours eu notre propre label, Digital Hardcore Recordings. De nos jours, plein d'artistes se disent : 'Wow, on va mettre des morceaux gratuits sur Internet, c’est une révolution !' Nous, on le faisait déjà en 92, bien sûr avec un autre moyen qu'Internet. C’est pour cela qu’on a pu faire notre musique sans qu'il y ait d'interférences ou qu'elle soit corrompue.

- Un mot sur votre nouveau single en téléchargement libre sur votre site. Vous encouragez les gens à le downloader gratuitement. Est-ce que vous êtes contre le fait de faire payer les mp3 ?

Non, vous pourrez aussi l’acheter dès le 17 mai sur iTunes. Selon moi, les gens devraient pouvoir acheter s’ils en ont envie, et se procurer notre musique gratuitement s’ils le veulent. C’est le choix des gens qui est important. Si tu sors un truc, dès le premier jour tu le retrouves sur Internet ; toute mesure visant à empêcher ce processus est totalement inutile. Ce n’est pas possible de protéger un album ou un single après le jour de sa sortie, de toute façon.

- ATR a depuis toujours collaboré avec différents artistes. Est-ce que vous avez l'intention de recommencer ?

Oui, ce serait génial. Ça a toujours été un aspect important de notre groupe. Par exemple, on a déjà une proposition de Dino Cazares, de Fear Factory, qui aimerait bien poser ses riffs sur un de nos morceaux. J’ai toujours adoré ce que les guitares pouvaient apporter à une musique comme la nôtre. On les enregistre, puis on en modifie le son avec notre vieux sampler pour qu’il soit bien crade, bien ATR. À l'époque, même avant que l'on split, Hanin n’avait pas énormément tourné avec nous : il y avait toujours un problème de dernière minute qui faisait qu’elle ne venait pas. Le line-up d’ATR sur scène était rarement le même que celui qu’on voit sur nos albums. Par exemple, on a fait septante dates aux États-Unis sans Hanin. À mesure qu’on avançait, d'autres artistes se greffaient à nos shows. Carl faisait des attaques de panique à cause de ses problèmes de drogues, donc on avait parfois d’autres MCs qui le remplaçaient, comme Kathleen Hanna de Bikini Kill qui s'est jointe à nous, par exemple. On essayait toujours de s’arranger. En fait, si tu regardes en arrière, tu te rends compte qu'ATR n’a jamais été un groupe dans le sens traditionnel du terme. C’était plutôt une espèce de collectif étrange. On a toujours voulu que ce soit un groupe, mais comme ça ne marchait jamais vraiment avec tout le monde en même temps, c’est devenu autre chose, un projet un peu comme le Wu Tang Clan.

- Avez-vous finalement décidé de sortir votre quatrième album, qui avait été annulé suite au décès de Carl en 2001 ?

C’est une très bonne question… aucune idée (rires). Quand je le réécoute, je sens qu’il est plein de très bons morceaux. Je pensais avoir vraiment tourné la page, c’est un peu étrange de me replonger là-dedans. Je réécoute ces enregistrements avec une oreille nouvelle, et je compare tout ça à ce qui se fait maintenant, surtout dans la scène electro actuelle que je trouve ultra plate. Les meilleurs groupes electro avaient un impact quasi physique sur le public. Mais maintenant, on se retrouve la plupart du temps juste avec un gars sur scène qui bidouille vaguement son ordi portable. Tout le concept de DJ a selon moi besoin d’un énorme coup de pied au cul. On verra, peut-être que c’est nous qui allons le faire. Pourquoi est-ce qu’il n’y a plus rien de transcendant qui se passe musicalement ? J’ai l’impression qu’on est sur le déclin, parce que les jeunes reçoivent de moins en moins des générations d'avant. La musique était plus radicale à l'époque des baby boomers. La technologie a aussi énormément évolué et on peut faire des trucs qu’on ne pouvait pas faire par le passé. Et ça, c’est une bonne chose. Mais pour en revenir à ta question, je ne sais pas si on va sortir de nouvel album. Pour l’instant, c’est très excitant : on pourrait faire des milliards de trucs, on a plein d’idées. Mais je ne sais pas, ça ressemblerait trop à un engagement (rires). Si on sort un album, il va falloir que ça suive, qu’on en fasse un autre et dix ans plus tard, on sera encore là. C’est pas nécessairement une mauvaise chose, mais est-ce que c’est vraiment ce que l’on veut ?

- Comment s'est passé votre concert, hier ? C'était le premier de la tournée et j'imagine que ça devait être très intense. Quel effet cela vous fait-il de repartir sur les routes ?

C’était très étrange à Amsterdam... On a ressorti notre vieux Roland TR-909, celui qu’on avait utilisé sur la cover d’un de nos albums et on était là : ‘Wow, ça fait dix ans qu’on n’avait pas sorti ce machin’. Il est recouvert d’éraflures, de stickers, de taches. ‘Hé, tu te souviens, ça c’est quand on nous a balancé de la peinture dessus en 92 pendant un festival antifasciste!’ Ce gars ne nous aimait pas parce qu’on n’était pas assez punk, ou un truc dans le genre. On a ressorti une autre antiquité, je ne sais pas si tu l'as vue : à la fin du concert, j’ai joué avec ce qu’on appelle l’atari guitar, C’est un petit sampler intégré à un instrument qui ressemble à une guitare. C’est Carl qui jouait avec. On l’a retrouvé au fond d’une cave, plein de poussière, dans une boîte. Un jour avant de partir, je l’ai ressorti, j’ai changé les batteries et j’ai voulu vérifier s'il marchait encore et il y avait toujours les mêmes samples enregistrés dessus, après toutes ces années, c’était presque effrayant ! On les a laissés tels quels, c’est exactement les mêmes samples qu’à l’époque. C’est ça qui est bizarre avec les données digitales, parce que ce sont des informations qui ne bougent pas. Je ne crois pas que ça existe dans les autres styles de musique.

- Un DVD live d'ATR était prévu à l'époque, va-t-il finalement voir le jour ?

En fait, on a sorti un DVD l’année passée, avec des clips d'ATR et de nos projets solos. Il y a aussi un documentaire. Le cinéaste Philipp Virus a tourné quasi tous nos clips à nos débuts, comme ‘Sick To Death’. On a très peu dépensé d’argent pour nos premiers clips, tout se faisait sur un vieux Macintosh, les vidéos étaient toutes pixélisées. C'est marrant, maintenant c’est carrément devenu un style, c’est ça que les groupes d’electropunk veulent comme look, alors que nous on n’avait pas le choix, on n'avait pas les moyens de faire mieux. Plus tard, on a fait des clips mieux produits, comme ‘Revolution Action’, par exemple. Philipp était avec nous dès le début, il a filmé beaucoup de nos shows, depuis 92. Il m’a filé un disque dur avec toutes ces vidéos juste avant la tournée, il m’a dit qu’au total, il avait plus de deux cents heures de vidéo. Le premier disque dur fait deux téras et il en a encore un deuxième à me donner. On a déjà commencé à en visionner une partie. Avec le recul, on se dit que ça ferait un film très intéressant, pas seulement pour les fans et pour le groupe, mais historiquement parlant aussi. Berlin maintenant, c’est une ville toute proprette, mais à l’époque, juste après la réunification, il y avait encore plein d’immeubles soviétiques et des clubs tout pourris dans lesquels on se produisait. Il faut qu’on visionne tout et qu'on fasse une sélection, mais je pense que c’est quelque chose qui serait intéressant à sortir dans une année ou deux.

www.atari-teenage-riot.com

Amethyst

Interview réalisée le 5 mai 2010 à Genève

mis en ligne le : 19.07.10 par graber

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