INTERVIEW - Ulver (2009)

Du black metal rocailleux de ‘Bergtatt’ aux ambiances chaudes et colorées de ‘Shadows Of The Sun’ en passant par l’enchevêtrement trip-hop sorti des rues glaciales de ‘Perdition City’… Ulver a offert à ses fans dix-sept années de voyage incessant, de recherches musicales sans frontière. Ne manquait à ce tour d’horizon qu’une véritable tournée. En dépit de ses réticences et de ses craintes à se produire sur scène, le groupe norvégien a mis fin à l’attente. De passage à l’Ebullition, Kristoffer Rygg (chant, électronique), visiblement épuisé mais modeste et disponible comme à son habitude, s’exprime sur ce revirement.



- Il paraît que la soirée a été difficile, hier, à Genève… Que s’est-il passé ?

Soirée de merde ! Soirée noire pour l’âme ! Le show en lui-même était bizarre. Je ne sais pas pourquoi… Simple question de sensations. Il y avait ce gars dans la salle qui s’est montré très très impoli et grossier. Il a poussé le bouchon tellement loin qu’il a foutu en l’air le moral de toute notre équipe. On a tous fini à la vodka et ça a dégénéré. C’est le premier soir où une telle chose se produit. Comment cela est-il arrivé ? Je n’ai même pas d’explication. Peut-être qu’il s’agit d’une crise de la mi-tournée…

- Tu as un meilleur feeling pour le concert de ce soir ?

Oui. Je pense que ça se passera bien mieux. J’ai l’impression que jusqu’ici on s’en est pas mal tiré sur cette tournée. Mais hier, différents facteurs, dont l’attitude grossière de ce gars, nous ont poussés à laisser sortir toute notre folie. Du coup, je me suis réveillé ce matin en pleine montée d’angoisse.

- La dernière fois qu’on s’est vus, tu tournais avec Æthenor (Transit 43). Tu disais alors ne pas voir l’intérêt de donner des concerts avec Ulver…
Que s’est-il passé ?
Pas mal de trucs (rires). Je n’ai pas envie d’entrer dans les détails mais nous avons été forcés de revoir notre point de vue à ce sujet. Nous ne pouvions pas continuer à nous montrer aussi difficiles que par le passé. Le groupe n’y aurait pas survécu. Il nous a fallu accepter de relever le défi.

- ‘Shadows Of The Sun’ est l’album le plus organique d’Ulver à ce jour. On y sent le produit d’un véritable groupe. Cet élément a-t-il également servi de déclencheur ?

Oui et non. Tu sais, nous avons complètement transformé nos titres studio afin de les transposer à la scène. Je trouve qu’il est toujours plus intéressant d’amener un kit de batterie sur scène plutôt qu’un ordinateur portable qui joue des rythmes préprogrammés. Du coup, il y a pas mal de changements. Le squelette est bien le même mais pour arriver au résultat final, nous utilisons des moyens différents. Nous avons incorporé des éléments à nos titres que nous n’avions pas avant et qui les rendent encore plus cool. Il y a aussi des choses trop dures à reprendre en concert que nous laissons tomber. Il s’agit de réinterprétations et non de répliques.

- Chacun de vos disques est très différent du précédent. A-t-il été difficile de faire cohabiter des titres très variés ?

Non, pas vraiment. On a conçu notre setlist en tenant compte d’une perspective ‘dramaturgique’. Il y a certaines chansons que les gens attendaient et qui auraient forcément cartonné. Prends ‘Lost In Moments’ : les fans apprécient son beat. Mais on ne la joue pas simplement parce que c’est une pièce à part. L’idée était de créer un assemblage dynamique de ce que nous avons fait jusqu’ici. L’accent a été mis sur la mise en place d’un spectacle et non sur la volonté de jouer des titres auxquels les gens auraient accroché. On n’a fait aucun compromis. On joue pas mal de ballades et des trucs qui ne sont pas forcément faciles à digérer en concert mais cette sélection donne une description adéquate de ce que nous sommes…

- Quand on s’était rencontrés, tu avais l’air terrifié à l’idée de monter sur scène. Te sens-tu plus à l’aise aujourd’hui ?

Dire que je suis à l’aise serait une belle exagération. L’expérience me procure un certain calme. Ce n’est plus aussi effrayant que ça l’était à l’époque. Mais je hais toujours autant l’heure qui précède le concert (rires) !

- La vidéo est un élément très important de vos shows… Est-ce un moyen d’attirer l’attention du public sur quelque chose d’autre que vous ?

Peut-être, oui. Mais nous n’avons pas investi autant de temps et d’énergie uniquement pour détourner l’attention des spectateurs. Cela dit, ta remarque est juste, dans une certaine mesure. La vidéo rejoint tout à fait la manière dont nous avons toujours présenté notre musique : nos individualités n’ont pas d’importance. Nous voulons simplement peindre des images vives. Nous nous donnons pour mission de faire en sorte que l’attention ne soit pas concentrée sur des personnes mais sur l’expérience totale.

- Vos performances évoquent l’esthétique du cinéma muet, où un orchestre interprétait en direct la musique du film projeté…

Oui, tout à fait. C’est quelque chose de très présent chez nous. Nous avons eu une approche très ‘rétrospective’ dans notre choix des images à projeter. Ça n’était pas forcément délibéré d’aller rechercher dans de vieux films. Mais je trouve que ça colle bien à notre musique.

- Jusqu’ici, vous avez joué dans des festivals, dans des petites salles, des plus grandes… Quel cadre convient-il le mieux à Ulver ?

Le show de ce soir va être très intéressant car c’est une toute petite scène. Nous serons très proches du public… Sans doute plus près que nous ne l’avons jamais été. Pour être tout à fait franc, je préfère quand il existe une certaine distance. ‘Distance’ : c’est un mot-clef dans l’histoire d’Ulver (rires). Je suis mort de trouille à l’idée de tant d’intimité.

- Les grands festivals te plaisent davantage ?

Non, car tu n’as aucun contrôle sur la production. Je préfère jouer dans un amphithéâtre, par exemple. On a donné des concerts dans des salles vraiment cool sur cette tournée : la Cigale à Paris, la Volksbühne à Berlin… Lorsqu’on joue dans ce genre de théâtre, les gens sont assis et sont également loin de la scène. J’apprécie cette distance.

- À voir le public présent ce soir, il semble que vous attiriez encore pas mal de metalleux, et, parmi eux, des fans de votre période black metal…

Pas tant que ça, en fait. Je crois que les gens acceptent le fait que de l’eau ait coulé sous les ponts. Bien sûr, on entend toujours quelques mecs hurler ‘Nattens Madrigal’ (Ndr : titre extrait de la démo ‘Vargnatt’, parue en 1993). Je leur conseille simplement d’aller se faire mettre (rires). Ça ne me dérange pas outre mesure mais ces personnes doivent comprendre qu’il ne s’agit plus du même Ulver. On ne pourrait tout simplement pas jouer un titre black metal avec ce line-up. La formation d’aujourd’hui rassemble des artistes qui sont excellents pour interpréter notre matériel récent.

- Mais que tu le veuilles ou non, Ulver est toujours très lié à l’univers du metal extrême. Vous avez joué au Brutal Assault, vous vous produirez au Hellfest, cet été… Comment vis-tu cet état de fait ?

Ton expression est la bonne : je le vis. Point. Je le vis (sourire).

- Ulver a été absent des scènes pendant quinze ans. Maintenant que vous donnez à nouveau des concerts, des dizaines de bootlegs vont apparaître sur le marché. Ça te dérange ?

Oh oui ! Ça me gêne beaucoup parce que la plupart du temps, il s’agit d’images filmées par des téléphones portables. Le résultat n’a rien à voir avec ce à quoi ressemble un concert d’Ulver. Mais on a un type qui nous suit partout avec une caméra et qui filme tous nos concerts. Nous assemblerons notre propre produit le moment venu. Regarde, il est juste derrière toi. Tu apparaîtras sur notre DVD. Dis bonjour à la caméra !

- Où en est votre prochain album ?

On a déjà pas mal de titres prêts. Avant cette tournée, on a évoqué l’idée d’en interpréter quelques-uns sur scène. Mais pour l’heure, tous les arrangements ne sont pas encore fixés. Il aurait été dommage de jouer une chanson pour la retravailler encore par la suite. Mais, oui, on bosse sur de nouvelles compos. Par contre, on n’a arrêté aucune date pour la sortie de l’album.

www.myspace.com/ulver1

Dave

Interview réalisée le 16 février 2009 à Bulle

mis en ligne le : 20.06.10 par graber

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